« Cinéma sans tain », « Poèmes sans tain », les questions sont les mêmes, ni miroir, ni fenêtre, il ne s’agit pas de voir grâce à, ou à travers, il ne s’agit pas non plus de refléter mais plutôt de tout embrasser, d’être à la fois dedans et dehors, dans et hors le poème, dans et hors le théâtre, dans et hors le cinéma, dans et hors le monde. Seul, le pays de Trêlles permet tous ces écarts. Habiter ce pays permet à Matthieu Messagier de dépasser l’écueil de l’artiste. Se plaçant dans un écart absolu, dans et hors du monde, il n’est plus le garant, la sentinelle de la perception, piège pour l’artiste, qui, comme le philosophe, à force de questionner le monde en oublie l’objet premier de la quête, l’art por le premier, la vérité pour le second. […] Matthieu Messagier pulvérise tous ces leurres, le voile, la nature, la conscience ; le poème est sans tain. Il n’a pas à dire, lire, voir, transmettre, éclairer, expliquer… Son territoire est infini, sa parole est libre, ses images non censurées. Le poète côtoie le monde, parfois, le parcourt, à l’occasion, il y croise quelques êtres humains, échange quelques paroles, mais toujours il vagabonde, du réel à l’imaginaire, de lui à l’autre, de Trêlles à Strasbourg ou de Katmandou à Novgorod. Dans le territoire du poème, il n’y a ni distances, ni frontières, ni réticences, ni porosités. Tout est là, à portée. Le poème est sans tain, il réfléchit comme il traverse, il ignore comme il absorbe, il disperse comme il inonde.
Alexandre Rolla, Un voyage ordinaire, éditions d’ici & d’ailleurs.