FAUSSES GRAVURES POURRIES

FAUSSES GRAVURES POURRIES

PARESSE ET STRATÉGIE, CITATIONS* DE M.M.

 

recommandé avec accusé de déception –

(le tout avec l’énergie du dérisoire)

 

parce que quelque part il y a le rite (sans le rite)

 

Je ne serai jamais un savant de la mort ;

peut-être qu’il en faut, aussi, des

non-savants de la mort.

 

….. un seul état

poétique digne : le fourvoiement

 

je suis un anti-satanisme primitif

 

Dans la peinture et le dessin ce n’est pas

le résultat qui compte (ni le résultat

immédiat ni celui à venir) c’est la

sensation de sacré qui vous habite lorsque

l’avant-seconde du tout premier geste

vibre et jusqu’à l’os de la moelle

 

Souvent je fais de la peinture comme la chose

la plus artificielle du monde :

Rien peint par Rien

 

Rêvasseries outre-muscles : superbe.

 

Exercices d’encre à voir de loin

 

…aux lisières d’une métasérénité.

 

… ; longue ondulation

des formes alternées de l’ordre

et du désordre séparées du charme car

lui seul permet l’accès aux stupéfactions

du début.

 

Descriptions nulles et non avenues

Car tout alentour l’objet de la vue

S’évanouit dans la seconde avec la

Justesse de la vue séparée de la vue.

 

…quand certain vertige remplaçait la conscience

 

De toutes les choses ne demeurera que

Ce qui était déjà dans ces choses.

 

Christophe Béguin, septembre 2018.

 

* Toutes les citations de Matthieu Messagier sont extraites de Poem for a while (Éditions Au coin de la rue de l’Enfer, 2017)

 

 

 

LE DESSINATOIRE MYSTÉRIEUX

OU L’EXPÉRIENCE DE LA POÉSIE

Matthieu Messagier, dans un de ses derniers livres publiés, Poem for a while : «  – mais pourquoi peignez-vous ? / – parce que je n’ai plus de forces ».

Si le « Dessinatoire Mystérieux » de Matthieu Messagier, qui a commencé son expansion à partir de 2005, s’expose aujourd’hui devant nous avec une telle force justement – avec une telle beauté aussi –, c’est que cette force est vraiment sans forces, prenons-le à la lettre. Elle n’est pas expressive, esthétique, référencée, révoltée, surjouée, mais d’abord vivante, vitale, singulière, permanente ; elle est en fait un filet de muscle faible mais obstiné qui outrepasse ses limites physiques par des gestes simples, primaires, sauvages, accidentels, quotidiens. Elle est donc aussi une forme de violence, de celle que peuvent produire sur eux-mêmes un corps et une pensée habités d’une énergie folle, mais une violence qui emploie nécessairement les chemins détournés du petit à petit, de la lenteur, et de la douceur. Pour atteindre toujours, il me semble, c’est là le miracle, à l’ « outre-vue », autrement dit à la poésie.

Les dessins de Matthieu Messagier, avec commencements souvent ritualisés, se donnent une inconscience réelle, pour atteindre en somme leur vide, qui est un centre provisoire, donc aussi  possibilité de la volubilité comme du rare. D’ailleurs, plus que Matthieu Messagier lui-même, qui n’est donc pas un « artiste », mais plutôt une sorte de chamane (d’opérette, comme il le dit lui-même avec humour), c’est le dessin qui dessine, qui décide, qui guide, et qui parcourt alors son propre espace de libertés, d’inventions, d’ouvertures. Et comme une sauterelle un peu mystique, un peu moustique : entre gravité, profondeur, et fantaisie, humour. Le corps et la main de Matthieu Messagier, et les crayons, les feutres et les plumes, sont des aides de camp foutraques du dessin lui-même.

Faussement sérieux, faussement naïf, faussement comique, vraiment présent, vraiment de poésie vécue, son travail de peintre et de dessinateur se place, depuis une quasi immobilité de fait, dans un intermédiaire de curiosité, mouvant, mobile – celui qui intègre sans contradiction artifice et nature,  connaissance et non-savoir –, et déploie alors un espace du visible où s’inscrivent des formes in-vues, des traces inattendues, des incongruités parfaites (donc, dans ce contexte du libre qu’il s’est donné, parfaitement normales, et parfois même « banales » ou « ratées », au fond, peu importe)

L’exposition présentée ici a pour point de départ les Fausses Gravures Pourries, un ensemble de 27 dessins, qui date de 2011. Circonstances initiales très simples : un don de papier à gravure, petit format, un pied de nez ironique de vraie admiration à la vraie gravure, une danse vivante de la mort à la mexicaine, et c’est parti ! Un petit cadre tracé, des feutres, des encres souvent vives, puis crânes, squelettes, dragons, serpents, homoncules dansants, une numérotation 1/1 pour chacune, et c’est fini. En discutant à l’été 2017 avec Matthieu Messagier de la gravure (Seghers, Dado, etc…), et d’une exposition possible, c’est ressorti des cartons, et ça devient aujourd’hui ce panneau du rire (sans rire), de la mort (sans mort), de la gravure (sans gravure).

Les tous derniers dessins de Matthieu Messagier sont ses Encres levées (2017/2018), sur papier blanc, et sur papier écru. Toujours un rite de commencement : une tache ou une trace de couleur (crayon ou vernis), cœur difforme de départ qui appelle un cadre improvisé tracé à l’encre, puis les décisions fluctuantes et les accidents réels de la plume. Rien de plus, si ce n’est ce qui apparaît : levée de formes (comme un lever de lièvres fantômes), levée de points, de pattes d’oiseaux (comme traces et neige en chute inversée), levée de lignes et de sillons d’encre (comme une levure pour pâte). Mais je laisse ici la description et l’interprétation, plus avant elles seraient des coups de fusil inutiles.

Enfin, pour ouvrir perspective plus ample, visibles également dans cette exposition, quatre grands triptyques, extraits d’un ensemble appelé Les Mystères cicatrisés. Mots qui me viennent, en les regardant : paysage, fresque, frise, mystère, jouissance absolue, nature absolue, poésie absolue, énergie, vie et vue larges. Le masque esquimau au-dessus des montagnes violacées, le secret ? Ou bien la corne d’abondance rouge ? Mais, pour parodier une autre citation de Matthieu Messagier : peut-être la haute teneur d’un dessin se mesure-t-elle à son absence de secrets. Nous voyons donc plutôt que la matière, son goût, son sel intérieur, ses salissures, possède en quelque sorte ses directions, ses explosions et ses lubies propres ; et qu’un crayon ou une plume, en traçant sans contrainte sauf l’horizontalité leurs chemins de couleurs et d’encres, par improvisation pure du geste et de la pensée intimement alliés, dans un laisser-aller splendide aussi, aussi parce qu’il est limité fatalement au temps et aux circonstances de l’instant (du while), sont les médiums méta-pratiques d’une écriture miraculeuse, qui ne dit rien, mais qui prend tout et parle de tout, du corps au monde, pour redonner tout en retour, en dehors des sempiternelles spéculations.

***

En écrivant ce texte sur les dessins de Matthieu Messagier, je ressens exactement la même expérience que celle que j’ai déjà connue en écrivant sur sa poésie. Il est impossible d’isoler sérieusement quoique ce soit de cette présence simple mais absolue que constitue l’œuvre-vie de Matthieu Messagier.

En écrivant ce texte, je me dis qu’en utopie, chacun devrait aller rencontrer Matthieu Messagier, devrait aller faire cette expérience de la discussion avec un tel individu, qui s’autorise, depuis son fauteuil et son Moulin du Doubs, à rencontrer tout le monde, à rencontrer le monde, à le faire venir à lui en entier ; parler avec lui du triptyque de Grünewald à Colmar, ou bien de Garrincha, le footballeur, ou bien encore des champignons et des lézards qu’on trouve dans la campagne alentour, des martins-pêcheurs, et de Robert Walser ou de John Clare, ou des esquimaux, tous, ses compagnons de fugue. Cela exonérerait en toute simplicité quiconque d’écrire (je l’ai pourtant fait ici encore avec bonheur) de vaines tentatives d’approche de ce qui n’a fondamentalement pas d’explication : l’expérience de la poésie.

 

          Christophe Béguin, Caen, le 16 septembre 2018