6 décembre 1984.
Mon cher Matthieu,
J’ai comme le sentiment qu’il n’y a que des murs autour de nous, des murs lépreux, désincarnés, qui n’ont aucune conscience de leur haut mal. Des murs qui se contentent de maintenir un édifice qui s’écroule – qu’à cela ne tienne. On fera de la restauration pour les faire tenir tant bien que mal jusqu’à la prochaine apocalypse qui les désintègrera. Tu as 20, 30 ou 40 ans d’avance. Alors ce sera le temps des exégètes ; ils n’auront pas un mot pour nos assassins présents – éblouis d’avoir compris enfin le message scellé dans la matière primordiale, ils illumineront l’enfant poète dont on aura depuis longtemps dispersé les cendres tout en poignardant avec mépris les adolescents vivant en même temps qu’eux et qui seront porteurs des références permanentes – et ainsi de suite. QU’ORANT confluent, où se rencontre la parole et l’écrit, où la parole originelle renaît, où la langue réapprend à écrire, me parvienne au moment où je suis touché à mort, où je tente de survivre pour ne pas blesser mon étoile – où je n’ai plus de pouvoir de décision, me désespère. POL a fait savoir qu’il ne pouvait rien faire – et visiblement Orant le dépasse. Les grands groupes éditoriaux, les seuls qui seraient en mesure de prendre des risques se confortent dans ce qu’ils nomment le visible, le diffusable, le rentable. Tu le sais, tous les éditeurs de ma génération on été annihilés.
Sous réserve d’un sursaut de Michel Deguy, d’une sorte de miracle – je crois qu’il n’y a d’espoir qu’avec quelques jeunes de ta génération qui accepteront de monter au feu. Pardonne cette lettre triste dictée par les premiers échos d’incompréhension qui me parviennent. Je prends des dispositions pour photocopier la totalité du texte et te le faire parvenir. Je reste attentif à toute lézarde dans le mur du sang. Je suis sûr que l’explosion d’Orant qui nous rend l’Age d’or – s’imposera – où ? Comment ? Quand ? Je ne sais pas encore.
Je t’embrasse,
François Di Dio
EDEN HOTEL-ROMA 49, Via Ludovisi
3 janvier 1991
Mon cher Matthieu,
Presque chaque jour j’avance dans ORANT, où l’on se meurtrit souvent, blessures triomphales que subissent les explorateurs dans les Amazonies préservées – avancer dans les jungles, portés par une grande musique qui ne s’arrête jamais – comme tu l’écris « l’ étendue croît s’enrichit et l’être ne lésine pas ». Dans ce monde en décomposition ORANT recompose, recrée tout ce que les naufrageurs saccagent, ORANT pour un monde de ténèbres devient l’encyclopédie de la lumière, lumière noire, la seule lumière absolue qui révèlent tout sans ombre.
François Di Dio