Fond de troisième œil

Fond de troisième œil

Avec 9 idéographes de l’auteur.  Exemplaire personnel de l’auteur rehaussé de couleurs par lui-même.  Editions Flammarion, collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, mars 2005.

Fond de troisième œil par Christophe Fourvel

Fond de troisième œil est, comme chaque livre de Mathieu Messagier, un univers entier, celui des mots, des paysAges, des trouvailles, du très simple et du très complexe […] les mots sont « invités à venir », à parcourir cette longue distance qui sépare « l’univers entier » et le point fixe du pays de Trêlles. On croit percevoir cette injonction faite à la langue, une sorte de geste précis à laquelle elle se plie. Messagier est un apiculteur des mots, écrivant dans le nuage épais et virevoltant de ses essaims revenus des lointains ; ses mots portent chacun une poussière d’exotisme sous les ailes, comme un peu de pollen. Mais l’écrivain aime aussi travailler avec le tout proche, dans le moule de ce que l’on pourrait nommer le grand vrac des lieux communs de la parole : empilons ici des matériaux aussi divers que le proverbe, la réflexion sur le temps qu’il fait, le poème naturaliste mais aussi le journal intime, le récit de jeunesse, la formule branchée, tout cela bien sûr non pas pour les dynamiser ou les moquer mais simplement pour les faire sien, réaliser ainsi la sauce personnelle dans la vieille marmite populaire. Or, l’opération est contre-nature puisque à un état de langue dépouillée par essence de subjectivité et d’imaginaire, Messagier substitue sa moisson non seulement personnelle mais immédiate et inreproductible :

Mardi,
furieuse allégresse
fouettant au cerveau
curiosité d’écrire en borgne
mire caché dans les souvenirs gelés
encore ces yeux répandent
la terminaison tragédienne
se plaît journal tend à la pile du pont
furet et visionnaire de grammaire collée
au sens de la chenille
se content des merveilles

Cette tension, cette saisie brute d’une origine de la pensée, d’une essence plurielle, cette tentative pour restituer à la seconde son paysage entier, intérieur et extérieur réunis dans une possible fusion, est une marque forte qui rend la lecture parfois euphorique, parfois en plan. Bouleversée ou sourde. Il peut tout arriver dans un livre de Matthieu Mesagier. Qu’on trébuche, qu’on râle, qu’on ne sente pas. Qu’on adore, qu’on rêve, qu’on soit saisi. On fait tout librement ; en lecture comme en promenade, avec des paniers pleins les bras.  Encore deux petites (merveilleuses) choses :

Des minéralités dépassent des idées/sur la troisième voie/d’autoroutesastrolyriques

Et plus loin,

Le ciel se désordre en pluie.

Christophe Fourvel in Le catalogue, n°5, juin 2005.