Un Paralogue futural

Un Paralogue futural

La feuille du match, couverture pour la revue Footballs

Cemara Hôtel, Jakarta
Le 5.11.2006

Mon cher Malek,
Journées froides & solaires – Allégresses passagères mais inouïes –
Poésies sur papier perdu (titre en marche. Entre mémoire et inconnaissance.)
J’entends vibrer les rôtis à la cuisine, sans doute ce qu’il y a de plus important ? Et, pour l’instant, ces bruits familiers calent bien mes rêveries dans un fauteuil d’étiages –
Et nous avons oublié Billie Holiday ! (et Karen Dalton !) et tant d’autres qui nous le ferons savoir, le rimmel et le gin, la voie ombilicale et les sourires de la varicelle…
Matthieu.

Petit, j’allais à Bonal avec mon père ; j’aimais le bruit du ballon sur la rosée, et le bruissement des feuilles de peupliers. M.M

Tupelo Great Astronomers

Entente Thélémite de Myrelingues

Express inutile en retard

M. Sindelar en action. (archives du quotidien l'Equipe)

Sindelar, l'homme de papier. Quotidien l'Equipe, 16 juin 2008.

Football Team, brouillon par M.M.

Football Team, brouillon par Michel Bulteau

Football Team, brouillon par Malek Abbou

Football Team, brouillon par M.M.

Collage par M.M.

Olympique J'étais Cigare - carte de membre.

Un paralogue futural, Matthieu Messagier et Malek Abbou.

Ce livre écrit à deux (et deux quatre) est unique. C’est la rencontre, sur la pelouse blanche des pages, du football et de la poésie, du football passé au tamis du rêve et de la nostalgie et de la poésie la moins morte. Il s’agit donc du récit d’une des rencontres de la onzième journée du championnat de la Fédération Internationale du Football sans jeu et sans sueur (où voisinent par ailleurs L’Olympique J’étais Cigare, L’Express Inutile En Retard, Le No Nothing Sporting Club, L’Entente Thélémite de Myrelingue, L’International des Sans Fonction, L’Etoile Rouge du Silence, le Dynamo Nemo, pour n’en citer que quelques-uns). Ce livre narre donc un match inénarrable, la rencontre du Sporting Club de Trêlles et du Football Club des Ailleurs, arbitrée, nécessairement, par M. Buster Keaton.
On a certes à faire à des « faicts foutreballistiques » comme l’écrit Malek Abbou, mais surtout à une démonstration de poésie jouée dans sa seule et vraie dimension, l’impossible et le miraculeux, l’échec et son oubli à chaque instant de la vie. A la 44ème minute, Matthieu Messagier délivre des ouvertures d’une clarté sans dicussion (« En quittant les pancartes /Dites-moi seulement /Si vous êtes vivant quelque part », ou « Aussi les trafiquants du réel /N’auront jamais la peau /Des songeurs sans fonction », ou encore « Je n’ai absolument aucune autre direction /Que celle du jour qui passe /L’évolution proprement dite /Tiendrait dans la matière d’une minute ») pendant que Malek Abbou tire des coups de pieds arrêtés dans toutes les directions du temps, saisissant le déroulé du match, donnant les résultats de tous les autres et prophétisant même, en sus, à la 53ème, en état de fureur poétique depuis Myrelingue la paillarde et l’ésotérique. Et si « A la vérité, sort futur me charroie d’ymages à suffisance comme s’ensuy quand vays à beuverye » est, sans doute aucun, villonnesque ou rabelaisien, « Femme, où est mon entonnoir » sort tout aussi bien de la gueule grande ouverte du Roi d’une Pologne de nulle part. La poésie, de toute façon, vient de passer le mur du son (tout comme Oswaldo Piazza qui déboule sur l’aile comme la Générale à la recherche des groseilles du temps sans doute).
« La poésie consiste à être seul » dit Jacques Ferry entré en cours de match (après Michel Bulteau dont le jeu décalé à l’extrême a poussé l’arbitre à siffler la fin du match dès la 61ème minute). C’est pourquoi il y a des équipes. Des ailiers partout, des milieux sur les bords, des portiers qui laissent passer le vent, un ballon que personne n’entend battre alors qu’il est le cœur volage de toutes les solitudes. La vie est pleine de ces matchs dont on ne revient pas. Les scores s’affichent sous nos paupières, les crocs-en-jambe poussent comme champignons et toujours, toujours, M. Keaton ne bronche pas.

« Le sentiment de la castration échappe à la traduction » persiste Ferry. La vie joue des prolongations sans issues. Les tribunes sont vides. Une neige de mots attend de tomber sur le vide qui siffle en toi : coup franc ? C’est encore à voir. Fermons les yeux, comme M. Keaton. La poésie s’accroupit peut-être aux étalages des livres mais « L’étoile sportive de la résurrection de la chair paie en ratures ». Pourtant, le coach, sur son banc, gueule comme un curé : écris, écris ! Bonjour les pâtés. De foi. Il faut donc redire les choses, Ferry s’y emploie : « La traduction brûlée du désœuvrement envoie le beau monde à la potence ». « La poésie envoie tout le monde à l’échafaud ». C’est dire ici si on y va dans ce match. Mais avec style et grandeur. Tout y passe, mais le coup d’envoi donné, il nous reste les belles passes, les démarcations irréelles et un jeu de tête en liberté, avec des cheveux comme en rêve. Rester sur la touche en baratinant le public, non, ça se paie autrement : « Ceux qui font semblant d’être la poésie seront suicidés par les morceaux choisis ». « Comment finir sous-chef de rayon au marché noir de la poésie », voilà ce que ce livre délaisse.
Surface de réparation de Malek Abbou donne la clé du match. Ni marquage à la culotte, ni flicage de zone, encore moins disposition occulte de milieux séfirotiques, non : une disposition à l’ailleurs aussi légère qu’elle est improvisée, aussi écrite qu’elle se découvre et s’étonne elle-même, aussi calculée qu’elle ne sait pas les nombres ; une disposition à l’ombre et à l’obscur, une inclination au non-dit en toutes lettres mais à personne, un vice patent pour la contradiction, le tête-à-queue et l’oubli, tout est là, ne cherchez pas ailleurs une autre beauté. D’ailleurs, comme le glisse l’ailier Ferry, « La nuit regarde les joueurs être ailleurs » et « La célébrité est l’antithèse de la gloire », et c’est glorieux que nous entrons dans ce Paralogue Futural où tout nous rend à notre corps d’enfance, celui pour qui le sport était l’art d’être là sans jamais perdre ce divin goût fruité qu’a, sur la langue, l’absence.

Samuel Dudouit

Article de Samuel Dudouit 13 janvier 2013. Paru dans le numéro 1 de la revue imprimée S /V Magazine (revue internationale de création littéraire traduite en trois langues, site: http://svmagazine.wordpress.com). Repris sur le site en ligne de LA CAUSE LITTERAIRE.